Que s'est-il passé chez Danone ?
Danone est la première multinationale française cotée en bourse à devenir une entreprise à mission. Cette transformation est l'œuvre d’Emmanuel Faber, PDG licencié le 15 mars 2021. Avec ses 24 ans de maison, Faber a fait approuver en 2020, à 99,4% des actionnaires de Danone, la mutation du groupe en société à mission. Une entreprise à mission est, selon la loi PACTE de 2019, une entreprise dotée d’une «raison d’être» («apporter la santé par l‘alimentation au plus grand nombre», pour Danone) et d’objectifs sociaux, sociétaux et environnementaux associés, inscrits dans ses statuts et constituant sa mission. Coup de communication ou ambition altruiste ?
Cette décision a été vue par certains comme l’aube d’un mouvement majeur à même de transformer le visage du capitalisme. Emmanuel Faber lui-même, annonçait aux actionnaires de Danone qu’ils venaient de «déboulonner une statue de Milton Friedman», le très libéral économiste américain qui estimait que la seule responsabilité sociale de l’entreprise est de réaliser des profits.
Douche froide moins d’un an après. Le conseil d’administration de Danone a clôturé neuf mois de crise de gouvernance et de résultats mitigés, en écartant Emmanuel Faber. Si les désaccords avec une partie des cadres et les mauvaises performances semblent avoir guidé la décision, l’engagement environnemental de Faber a aussi pesé dans la balance. Beaucoup voient dans cette éviction le symbole de la difficulté des grandes entreprises à satisfaire profondément des enjeux de responsabilité sociétale.
Entreprise à mission = entreprise non compétitive ?
En 2020, début de la crise sanitaire, Danone a accusé une baisse de 13,8% du résultat opérationnel, touché par la baisse de la consommation de l'eau en bouteille . En comparaison, sur la même période, Nestlé et Univeler, deux des principaux concurrents de Danone, affichaient une marge opérationnelle de respectivement 17,7 et 18,5%.
Face à ces mauvais chiffres, les deux fonds d'investissements Artisan Partners et Bluebell Capital Partners réclament la tête du PDG. A l’annonce de son départ, l'action Danone a bondi de 4% à la bourse de Paris. Ce sursaut ressemble fort à une illustration de la victoire de la rentabilité sur les engagements RSE. Conjuguer intérêt général et bénéfices est-il réaliste ?
Pour les partisans écologistes, c’est impossible. «Soit l’objectif c’est la rentabilité, soit c’est la mission de l’entreprise telle que l’imaginait Emmanuel Faber, assène l'industriel et économiste belge Gunter Pauli dans L’ADN. Les deux ne sont pas compatibles.»
«Il ne faut pas se tromper de métier, alerte Xavier Terlet, directeur général de ProtéinesXTC
dans LSA. Les préoccupations d’Emmanuel Faber en matière d’écologie et ses efforts pour faire rapidement de Danone une entreprise à mission ont peut-être favorisé des erreurs qui se paient en parts de marché.» L’éditorialiste Nicolas Beytout est encore plus acerbe dans L’Opinion. Pour lui, avoir «des valeurs» ne doit pas se faire «au détriment de la valeur de l’entreprise», donc de ce qui «garantit [son] avenir –sa productivité, ses profits, ses investissements.»
Cette opposition entre valeurs morales et valeur pécuniaire, entre mission et profit, semble encore plus forte avec les entreprises cotées en bourse comme Danone.
Les multinationales cotées en bourse peuvent-elle avoir une vocation d’intérêt général ?
Très peu de grosses entreprises osent mettre la RSE en priorité. Danone et Yves Rocher font figure d’exceptions en France. Le sort réservé à Emmanuel Faber rappelle d’ailleurs celui de Paul Polman chez Unilever. Le patron atypique prônait la juste rémunération des salariés et avait fixé l’objectif ambitieux d’un bilan zéro carbone en 2030. «Les actionnaires ont fini par se demander si le développement durable n’est pas devenu une priorité du patron au détriment de la rentabilité financière», résume L’Echo. Résultat, Polman a été débarqué en 2018.
Au-delà d’un conflit de buts, les grandes entreprises à vocation RSE sont dans le collimateur des fonds spéculatifs. Une étude conjointe de HEC Paris, de la Pennsylvania State University et de l’Erasmus University Rotterdam avance que les fonds spéculatifs activistes seraient deux fois plus susceptibles de cibler les entreprises socialement responsables plutôt que les autres. Ces fonds interprètent la RSE comme un signal distinctif qu’une entreprise ne maximise pas les bénéfices des actionnaires à court terme. Mieux vaut donc être clair auprès des actionnaires sur la direction choisie et les moyens engagés pour générer de la valeur.
«Si vous regardez la centaine d’entreprises à mission françaises, les deux-tiers ont moins de 50 salariés, note Elisabeth Laville, fondatrice de l’agence Utopies. Idem pour BCorp, le label américain "for good" présent dans 75 pays.»
En voulant faire d’une entreprise du CAC40 une société à mission, Emmanuel Faber a essuyé les plâtres. Son modèle, bien qu’avant-gardiste, n’a pas survécu. Face à une prise de conscience universelle des enjeux du développement durable, d’autres prendront probablement le relais.
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