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L’experte du trimestre : 7 questions à Anaïs Voy-Gillis



Chaque trimestre, dans Good Vibes, notre newsletter, Sociacom interroge un ou une spécialiste sur son domaine de prédilection. État du secteur, perspectives, conseils, nous donnons la parole aux pros.


Ce trimestre, nous vous parlons d'industrie. Parce que le secteur est au cœur des préoccupations du gouvernement et parce que le renforcement de l’industrie française passe par sa transformation numérique durable.


Pour en discuter, nous laissons la parole à Anaïs Voy-Gillis, docteure en géopolitique, chercheuse associée au sein du CEREGE - IAE de Poitiers.

Ses travaux de recherche portent notamment sur les enjeux de la réindustrialisation. Elle est l’auteure d’un rapport de l’ Institut français des relations internationales (Ifri) sur les défis de la transformation numérique et environnementale dans le cadre de la réindustrialisation.



Pouvez-vous résumer les enjeux de la réindustrialisation de la France ?


La réindustrialisation est revenue au centre du débat public depuis la pandémie de la COVID-19. Cette dernière a montré les fragilités de chaîne de valeur fragmentée et mondialisée. Elle a également montré que la France avait perdu en autonomie sur des sujets clés comme l’alimentation et la santé.


La réindustrialisation est nécessaire pour plusieurs raisons. En premier lieu, il convient de renforcer l’autonomie stratégique du pays. Ensuite, il y a un enjeu de cohésion sociale et territoriale où l’industrie est intéressante à la fois par la localisation de ses activités, mais aussi par son impact en termes de création d’emplois. La question environnementale avec la réduction de l’empreinte carbone de la France est un autre enjeu. Par ailleurs, la question de l’environnement est à appréhender de manière systémique et à ne pas centrer uniquement sur la question du carbone.



Qu’est-ce que l’industrie du futur ?


Au départ l’industrie du futur est le nom d’un programme national français en faveur de la modernisation de l’outil de production et du développement du numérique dans les entreprises industrielles. Il s’inscrit dans la continuité du concept d’industrie 4.0 développé par les Allemands qui considèrent que nous serions entrés dans une quatrième révolution industrielle. La modernisation de l’outil de production est un véritable enjeu pour la France où les usines ont souffert d’un déficit d’investissement avec la désindustrialisation alors que la demande évoluait vers de plus petits volumes et de la personnalisation des produits.


Les nouvelles technologies peuvent apporter des réponses. L’industrie du futur recouvre un ensemble de technologies (robotique, big data, intelligence artificielle, impression 3D, etc.) liées au numérique et en particulier à la data qui doivent permettre d’améliorer les performances des usines, le service client ou encore la maîtrise de la Supply Chain. Néanmoins, la technologie reste un levier au service de la transformation pour permettre à l’humain d’aller au-delà de ses limites/contraintes physiques, pas une fin en soi. Or, nous avons tendance à vouloir mettre de la technologie partout sans savoir si cela répond aux besoins et aux attentes des clients. Les meilleurs projets de transformation ne sont pas ceux qui voient l’automatisation comme un moyen de réduire le nombre de salariés, mais comme un moyen d’améliorer la qualité de la production, de mieux répondre aux attentes des clients. Les sujets liés à l’industrie 4.0/industrie du futur sont également une évolution des modèles économiques des entreprises avec la recherche de nouveaux leviers de croissance et de différenciation.



Quels sont les liens entre industrie du futur et Future of Work ?


L’industrie est confrontée comme tous les secteurs à l’évolution du rapport au travail et des attentes professionnelles des nouvelles générations. L’industrie du futur apporte des réponses sur l’amélioration de la qualité de vie au travail en réduisant la pénibilité de certaines tâches par l’automatisation et le développement d’exosquelettes. Toutefois, il y a des questions plus épineuses pour l’industrie comme l’organisation du temps de travail et le télétravail qui est, par exemple, bien plus difficile à mettre en œuvre dans l’industrie que dans une entreprise du secteur des services.



En quoi la transformation numérique favorise la réindustrialisation ?


La numérisation de l’industrie est à la fois un levier pour améliorer la compétitivité et pour être en mesure de mieux répondre aux évolutions de la demande vers plus de personnalisation des produits et de services associés aux produits.


Il y a également des évolutions avec la facilité d’accès et de traitement des données. Elles concernent tous les services d’une entreprise. Par exemple, en production, elles permettent de mieux maîtriser les paramètres influents de production pour améliorer la productivité et le taux de rendement des machines, en maintenance, elles permettent d’optimiser les opérations de maintenance, voire d’aller vers de la maintenance prédictive et du côté commercial/marketing, elles permettent de mieux connaître les clients, leurs attentes et leurs usages des produits.


Les données d’usage sont également un apport important pour les entreprises car elles offrent la possibilité d’améliorer les générations suivantes de produits, de fiabiliser les existants en identifiant certains défauts ou pannes récurrentes ou supprimer les fonctionnalités inutiles et onéreuses à développer par exemple. Elles offrent également une connaissance supplémentaire des clients et de leurs attentes permettant d’optimiser certains processus de développement.


Elles peuvent également devenir une source de revenus en étant transformées en services associés aux produits, même s’il est aujourd’hui difficile de catégoriser ces services. Ils constituent une rupture méthodologique et culturelle et les gains restent difficilement quantifiables à ce stade.



Pouvez-vous donner quelques pistes sur la manière dont devrait, pour réussir, se dérouler la transformation numérique dans l’industrie ?


Les projets de transformation sont de nature différente, mais ils sous-entendent souvent aussi une transformation culturelle de l’entreprise puisqu’il s’agit souvent de nouvelles manières de faire les choses, donc de rompre avec certaines habitudes. Ils demandent également un alignement des parties prenantes et un engagement de tous.


En premier lieu, il est toujours nécessaire qu’il y ait une impulsion de la direction qui va intégrer cette transformation dans sa stratégie et donc mettre en œuvre les moyens humains et financiers nécessaires à la réussite de la transformation. Il faut construire et partager la vision. Il est également nécessaire de segmenter la transformation afin de voir rapidement des changements concrets s’opérer, mais également pour ne pas épuiser toutes les équipes dans ce type de projets, au détriment du quotidien.


Le deuxième élément clé est l’intégration des salariés dans le processus de transformation, notamment dans l’identification des besoins et dans la construction du plan. C’est banal à dire, mais les acteurs du terrain connaissent mieux leurs problèmes et leurs besoins. Une démarche qui serait uniquement descendante serait vouée à l’échec, notamment parce qu’elle serait sûrement mal acceptée par les équipes. Par ailleurs, il y a parfois des irritants qui compliquent la vie au quotidien à changer avant d’envisager un grand big bang. La collaboration est clé pour espérer faire du projet une réussite.


La troisième chose est qu’il faut bien définir les besoins et le pourquoi de la transformation. Les outils choisis doivent répondre à des besoins réels de l’entreprise. Il faut donc commencer par identifier ses besoins (amélioration des performances de production, demande des clients, nouveaux marchés à conquérir, améliorer l’expérience client, améliorer la qualité de vie au travail, etc.). Le but n’est pas de cocher des cases de briques technologiques qu’on aurait implémenter, mais bien de répondre à des besoins clairement définis.


Deux dernières choses pour faire de ces projets un succès : ne pas vouloir tout transformer d’un coup mais y aller par étape avec une feuille de route bien définie, tester des choses et ne pas pénaliser les erreurs. Les petits changements auront souvent un impact sur toute l’entreprise, mais pourront aussi rassurer sur l’ambition, la faisabilité, etc. Enfin, il ne faut pas hésiter à solliciter un regard extérieur pour apporter un regard critique.




Comment les problématiques géopolitiques actuelles impactent l’état de l’industrie française ?


Le contexte est particulier. La réindustrialisation est devenue un élément central dans le discours politique national, mais la France n’est pas le seul pays qui souhaite renforcer sa base industrielle. Il y a donc de fortes ambitions et un risque d’avoir à terme des surcapacités de production si tous les pays se mettent à investir dans les mêmes secteurs avec l’ambition de servir les marchés mondiaux.


La France est touchée par une crise de l’énergie qui pénalise les industriels dans un contexte où l’énergie est moins chère aux États-Unis et en Chine, mais aussi où les premiers proposent des aides publiques massives pour relocaliser et conditionnent le soutien à la demande au lieu de production.


La situation en Asie Pacifique va conduire de nombreux industriels à vouloir sécuriser leurs approvisionnements, mais le risque est que la France capte une part infime de ces investissements.




Quelle place donner à la question environnementale dans un objectif de renforcement de l'industrie française ?


Le rapport « Futurs énergétiques 2050 » de RTE met en avant le rôle bénéfique de la réindustrialisation de la France dans la baisse de son empreinte carbone. En effet, si les émissions nationales ont baissé de 25% entre 2000 et 2019, en raison notamment d’une nouvelle vague de désindustrialisation de la France, la part liée aux importations est restée relativement stable sur la même période. Cette forte part des importations dans l’empreinte carbone rend l’atteinte de la neutralité en France tributaire des trajectoires d’émissions dans les autres pays qui exportent vers notre pays.


Par ailleurs, le sujet de la réindustrialisation ne doit pas se réduire à la relocalisation des étapes d’assemblage, mais s’accompagne d’une réflexion plus globale sur les étapes en amont comme l’extraction et le raffinage de certaines matières premières, mais aussi en aval avec la distribution des produits et leur recyclage. Or, bien souvent cette variable de l’empreinte carbone à toutes les étapes de la chaîne de production est faiblement intégrée dans l’approche de décarbonation, car elle sous-entend d’avoir une réflexion plus globale sur la stratégie des entreprises, leurs logiques d’approvisionnements et les choix de matières, la conception du produit et la gestion de sa fin de vie.


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Comment conduire une transformation numérique dans le secteur industriel ? Comment satisfaction des collaborateurs, modernisation et développement durable peuvent-ils s’accorder dans votre organisation ? Parlons-en !


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